Un hommage à l’émission Téléfrançais! et un aperçu des programmes de français langue seconde (FLS) en Ontario
Par Alex Christie
Le 27 juin dernier, on fêtait la Journée mondiale de l’ananas. Tandis qu’à l’international on célébrait le goût délicieux et les diverses recettes dérivées de cette xérophyte hérissée, parmi la communauté des anciens étudiants du français en Ontario, cette date nous a fait penser à un autre exemple de ce fruit tropical : le personnage bien-aimé de l’émission de jeunesse, Téléfrançais!
Pour celles et ceux qui ne la connaissent pas, Téléfrançais! était une émission éducative créée au cours des années 1980. Elle était diffusée sur le réseau TVOntario, aujourd’hui nommé TVO, pour introduire les jeunes élèves non francophones à la langue française. Il s’agissait des aventures de deux enfants et d’une marionnette d’ananas anthropomorphe nommé simplement « Ananas ». Un outil pédagogique favori des enseignants du français langue seconde en Ontario durant des décennies, l’émission humoristique est chérie par de nombreuses générations d’élèves jusqu’à aujourd’hui, lorsque le programme marque son 40e anniversaire.
Dans le but de célébrer ce trésor caché du système de l’éducation du français ontarien, GrandToronto.ca a profité de l’occasion pour parler à plusieurs invités de leurs souvenirs de cet ananas adoré. Nous avons parlé à un groupe divers d’étudiants diplômés des programmes du français-cadre et de l’immersion française, ainsi qu’à deux enseignantes au conseil scolaire de Peel.
Une petite introduction aux programmes de français langue seconde en Ontario :
Dans notre province, les parents peuvent choisir d’inscrire leurs enfants à l’un de trois programmes d’apprentissage de langue française aux sein des écoles anglophones.
La première comprend le programme classique, ou « Core French ». Les élèves de ce cursus apprennent le français de la quatrième année jusqu’à la neuvième année, et ils peuvent choisir d’arrêter de suivre ces cours pendant le reste de l’école secondaire. Ces enfants reçoivent environ 3 heures 15 d’instruction en langue française par semaine pendant l’école primaire et un minimum de 110 heures pendant la neuvième année. Tous les élèves dans les écoles anglophones au Canada sont obligés de suivre ce programme de français au minimum.
Le deuxième programme s’appelle le « français intensif » ou « Extended French ». La structure de ce système peut changer d’un conseil scolaire à l’autre. Au conseil scolaire de Toronto, les élèves sont inscrits au début de la quatrième année et reçoivent 50 % de toute leur instruction en français. À Peel, la région natale de cette journaliste, les élèves ne peuvent pas s’inscrire avant la septième année.
Le troisième programme, le plus recherché par la plupart des parents, est le programme d’immersion française. Le parcours d’immersion, couramment appelé « FI » ou « IF », introduit le français aux élèves dès leur arrivée à l’école publique. À Toronto, ce curriculum est destiné aux enfants débutant la maternelle. À Peel, les parents peuvent y inscrire leurs enfants pour leur première année à l’école primaire. L’admission à ce programme est souvent réglée par un système de loterie très restrictif.
Pour de nombreux anciens élèves interviewés, Téléfrançais! était un élément mémorable de leurs cours de français initiaux :
« C’était une bonne expérience, » a remarqué une élève diplômée du programme français-cadre, Malaika, lors d’une interview. « C’était assez ridicule, mais d’une manière dont les enfants parlaient, ce qui nous a donné envie de la regarder, ce qui était rare dans un cours de français. »
« Téléfrançais! était génial, » a répondu un autre ancien élève de ce programme, Ajay, après avoir mentionné que regarder l’émission était le moment le plus marquant de tous ses cours de français « de loin. »
Une enseignante de français-cadre a confirmé que ses élèves y réagissent de la même manière: « Ils aiment l’ananas, ils aiment les chansons, et c’est facile à comprendre. Ils parlent lentement, le langage est là sur l’écran, ils peuvent le lire et le comprendre et ce n’est pas trop bébé lala. »
Parmi toutes les ressources disponibles aux professeurs de français langue seconde, dont le nombre est très limité selon une enseignante d’immersion, Téléfrançais! est une des seules qui évoque toujours de bons souvenirs chez les anciens élèves. Plusieurs ont toutefois exprimé une sensation de frustration et de déception associée avec l’apprentissage de la langue en général :
« Quand j’ai commencé à apprendre le français à l’école primaire, c’était à un rythme beaucoup plus lent que ce que je voulais, surtout parce que je me disais, « Oh, je vais parler couramment le français », » a partagé Malaika. « La réalité est que vous ne maîtriserez pas le français si vous ne suivez pas une formation comme l’immersion française. »
« Je pense simplement qu’en étudiant le français-cadre, on n’apprend rien de substantiel qui puisse nous aider dans la vie, si ce n’est, tout au plus, à commander de la nourriture dans un restaurant, » a avoué Ajay. « Je pense qu’il est inutile d’y consacrer du temps et c’est pourquoi, au lycée, on ne doit le faire que pendant un an. Parce que je ne pense pas que le français de base vous aidera à faire la moindre chose. »
Jessica, une ancienne étudiante du programme de l’immersion, nous a aussi raconté, « [Les cours de français] sont devenus de plus en plus ennuyeux. » Elle a précisé que son passage au français-cadre à l’école secondaire a été corrélé avec l’apparition de son ennui en classe.
Dans le cas de certains anciens apprenants de français de base, la transition de l’école primaire à l’école intermédiaire en 6 ou 7e année a entraîné le plus grand changement dans leur attitude.
« L’école intermédiaire a représenté un énorme changement, » a témoigné Malaika. « L’attitude des professeurs à notre égard a changé du tout au tout. Ils étaient très, très frustrés par le fait que nous ne connaissions pas certaines choses et que nous ne les comprenions pas immédiatement. C’est aussi à ce moment-là qu’on a commencé à faire beaucoup de fiches de travail au lieu de regarder et d’écouter des choses, et je pense que ça a marqué un grand changement dans l’attitude des gens envers le français. »
« Quand tu commences à apprendre la grammaire, ça devient une corvée, » a ajouté un autre diplômé du programme, Tony.
Il est évident que la grammaire est un aspect rébarbatif, mais nécessaire de tout programme d’apprentissage d’une langue. Néanmoins, les structures actuelles de l’enseignement en Ontario ne semblent pas favoriser le succès des élèves en français.
Selon un rapport de l’organisation Canadian Parents for French Ontario (CPF Ontario), seulement 38 % des étudiants diplômés en 2019 qui sont inscrits en immersion française en première année ont suivi des cours de l’IF pendant leur 12e année. Chez les étudiants de français-cadre, ce chiffre est réduit à 6 %. Le programme de français intensif a eu les meilleurs résultats, réclamant un taux de rétention de 61 %.
Statistique Canada fait état de conclusions similaires. Selon le recensement de 2021, le taux de bilinguisme dans les deux langues officielles est seulement 10,8 % hors du Québec. Cela démontre un recul de 0,8 % depuis 2001 malgré la croissance d’inscription à l’immersion française de 76,4 %.
Même si l’on tient compte de l’augmentation de la population ayant passé son enfance à l’étranger, lorsque le pourcentage de personnes immigrantes au Canada a augmenté de 5 % entre 2001 et 2021, le taux de réussite actuel des programmes FLS demeure peu impressionnant.
Selon deux enseignantes du français, les obstacles à la réussite sont évidents :
« La variété des capacités dans chaque classe maintenant, c’est très difficile. On a beaucoup d’élèves qui apprennent l’anglais comme langue seconde, donc le français, c’est un autre obstacle. Mais en quatrième année, ils veulent en apprendre. C’est quand ils sont en sixième année qu’ils commencent à être trop cool pour jouer à des jeux ou chanter des chansons. »
« En première année, avoir deux enseignants en anglais et français, études en train d’échanger chaque jour, ça devient difficile pour les petits. Alors, pour enseigner nos propres classes, ça veut dire qu’on a besoin d’avoir plus d’enseignants d’immersion. »
De plus, trouver des ressources appropriées présente un autre défi pour les professeurs :
Une enseignante de l’immersion a expliqué, « Pour enseigner en français, en particulier en Ontario, tu dois avoir l’idée que tu as besoin de créer tes propres ressources, parce que les ressources qu’on nous donne, des fois, c’est traduit directement de l’anglais. [Ce vocabulaire] est trop difficile pour les élèves. Alors tu es toujours en train de créer des ebooks, puis tout ça pour eux, ou de jouer à des jeux pour être à leur niveau, alors qu’il va pas avoir une grande frustration avec les élèves. »
« Et pour le français-cadre, c’est encore pire, parce que soit c’est au niveau qu’ils peuvent comprendre, mais c’est trop bébé là-là, soit c’est beaucoup plus difficile, » ajoute une professeure de français-cadre. « C’est pourquoi Téléfrançais! était bonne, parce que c’était simple, mais ce n’était pas pour les tout-petits. »
Une autre barrière était observée tant par les étudiants que par les enseignants : le temps de pratique.
« Il était difficile pour les élèves de se souvenir des concepts entre les cours parce que, de la façon dont notre école était organisée, avec un horaire de 10 jours et six matières, vous pouviez faire du français seulement une ou deux fois par semaine, » a souligné Malaika. « Cela signifie que vous ne pouvez pas vous souvenir des choses aussi souvent, et donc cela s’accumule vraiment, surtout au cours des trois années. »
Elle a ensuite poursuivi, « Ainsi, en 8e année, il y a des gens qui ne savent pas comment conjuguer les verbes de base, et d’autres qui savent tout. »
Tony nous a confirmé qu’il a rencontré la même difficulté : « C’est difficile, comme enfant, d’avoir un cours deux fois par semaine. »
« Il n’y a pas beaucoup de chances de pratique, » a précisé une enseignante d’immersion. « Si tu sors et tu vas au magasin, tu vas au film, tu es en train de parler avec les personnes dans la rue et tu veux utiliser ton français comme si tu étais à Sudbury ou Chicoutimi, tu peux pratiquer ton français. Mais si tu habites à Mississauga, à Brampton, la chance de trouver d’autres francophones pour pratiquer, c’est vraiment minimum. »
Le succès des élèves semble ainsi compter sur l’engagement de l’élève avec la langue et les occasions qu’elle ou il trouve hors de la salle de classe pour en apprendre.
« Étudiez [le français] hors de l’école ! » a suggéré Malaika aux élèves du français langue seconde. « Il peut s’agir, par exemple, d’essayer de trouver des gens avec qui vous avez envie de parler, d’écouter de la musique française ou de regarder [une émission de télévision qui vous intéresse]. Vous ne devez pas vous forcer à faire des choses ou à consommer des contenus que vous ne voulez pas consommer. »
Jessica a aussi insisté sur ce point, « Soit vous faites beaucoup d’efforts, soit vous n’en faites pas du tout. »
Malaika a précisé à notre journaliste qu’aujourd’hui, elle lit des textes de philosophie en français et regarde des émissions gratuites sur ICI Tou.tv.
Malgré les vastes difficultés présentes dans les programmes FLS, la plupart des interviewées ont souligné l’importance d’apprendre cette langue :
« Je trouve que c’est vraiment important de savoir comment parler les deux langues. Je trouve aussi que ça ouvre les portes pour les enfants, et ça aussi rend que c’est plus facile d’apprendre une autre langue, parce que tu as déjà les outils pour apprendre une troisième ou une quatrième langue, parce que tu as déjà appris une deuxième. »
« Pour moi, c’était la vie. Au Québec, on était bilingues et je trouve aussi que c’est très important. Ça ouvre des portes et ça enseigne aux élèves des compétences éducatives à partir de la langue comme comment résoudre des problèmes, comment prendre des risques. »
« Quelle que soit la qualité de la traduction, vous ne comprendrez jamais vraiment quelque chose si vous ne le vivez pas dans cette langue. Il y a une barrière que la traduction ne peut pas franchir, » a déclaré Malaika. « Je pense que c’est l’une des raisons pour lesquelles quelqu’un pourrait vouloir apprendre le français, en particulier au Canada, parce qu’une grande partie de la culture canadienne est française, et qu’il ne sera jamais en mesure d’y accéder pleinement et d’en faire l’expérience dans toute son ampleur s’il doit la vivre en traduction. »
D’autres ont insisté sur les enjeux présents dans la réalisation de ces programmes :
« Je pense qu’il est colonial que nous enseignons largement le français mais que nous n’offrons pas les langues indigènes locales alors qu’il y a des enfants indigènes dans presque toutes les écoles, que l’immersion en français est presque exclusivement réservée aux élèves à haut fonctionnement ayant un bon revenu familial et que les enfants ayant un comportement anormal sont presque immédiatement retirés de l’IF.1 »
En comparant les systèmes ontariens de français langue seconde aux taux de multilinguisme des pays européens,2 Malaika avait ces commentaires :
« C’est ce qui est frustrant, puisque c’est comme si la réponse est proche. La réponse a été étudiée par quelqu’un, probablement par de nombreuses personnes, et a été résolue, mais nous sommes toujours confrontés à ce problème pour une raison ou une autre. »
Alors, quelle est la solution ? Comment pouvons-nous mieux soutenir les élèves et les professeurs pour améliorer l’enseignement du français dans notre province ? Est-ce qu’il sera même possible d’encourager les enfants qui ne s’y intéressent pas de s’engager avec le français à l’avenir?
En observant le succès de Téléfrançais!, peut-être que nous devons sortir des sentiers battus pour trouver des solutions aux enjeux des programmes français langue seconde. Peut-être que le remède ne se trouve pas seulement dans de nouveaux bescherelles et des fiches d’exercices. Peut-être que l’avenir du FLS devrait porter une couronne verte et deux yeux bulbeux.
Je vous laisserai avec un dernier mot d’un des étudiants interviewés :
« Quand ton ami est un ananas parlant, tu as gagné. »
- Pour plus d’informations sur le taux des élèves retirés des programmes IF, veuillez accéder à ce lien : Rapport de CPF Ontario. ↩︎
- Eurostat a rapporté qu’en 2016, 65 % des adultes en âge de travailler qui habitaient dans un pays qui faisait partie de l’Union européenne parlaient au moins une langue étrangère. ↩︎
*Les réponses des anciens élèves du français ont été traduites de l’anglais par la journaliste.
Par Alex Christie